Pharmacothérapie chez les pigeons et les oiseaux d’ornement :

Une tâche difficile, autant pour les vétérinaires en cabinet que pour les fabricants de médicaments pour ces espèces mineures.

Vétérinaire Guy Werquin

Les frais nécessaires pour la recherche et le développement afin de répondre au nombre croissant d’exigences au niveau de la qualité, la sécurité et l’efficacité des médicaments à usage vétérinaire, mènent à une détérioration progressive de l’offre de médicaments autorisés pour les espèces animales et les indications thérapeutiques de moindre intérêt économique. Surtout pour les espèces mineures telles que les pigeons et les oiseaux d’ornement, il est de plus en plus difficile de disposer de médicaments adéquats dans le cadre des dispositions légales.

Un médicament autorisé : la garantie pour la sécurité et l’efficacité

Afin de pouvoir garantir l’efficacité et la sécurité, les médicaments fabriqués industriellement doivent être dotés d’une autorisation de mise sur le marché (AMM). L’AMM est fournie par les autorités compétentes après l’évaluation du dossier soumis par le demandeur (l’entreprise) par un jury d’experts européens. Ce dossier comprend toutes les données et études permettant une analyse de risque et sur lesquelles sont basés les indications thérapeutiques, les méthodes d’administration et la surveillance optimale.

Le dossier ne se limite pas à une évaluation du principe actif, mais la qualité de l’emballage primaire, la stabilité lors de la conservation et de l’utilisation sont également évaluées. Ainsi, la stabilité de la forme pharmaceutique et l’emballage des médicaments sont évalués à différentes températures et humidités ambiantes.

Les points essentiels de cette analyse de risque sont résumés dans un rapport d’évaluation publique (EPAR ou « European public assessment report »). Les données qui garantissent le bon usage du médicament sont repris dans le « Résumé des caractéristiques du produit » ou RCP. Ce document est la référence pour l’utilisateur et représente la base pour le choix thérapeutique.

En outre, le titulaire de l’autorisation est obligé d’enregistrer tous les effets secondaires des ses médicaments autorisés au moyen d’un système de pharmacovigilance et de rapporter à ce sujet aux autorités à des moments définis au moyen de PSUR (« Periodic Safety Update Report »). Pour les agents antimicrobiens, par exemple, il est vérifié dans quelle mesure l’efficacité des produits déjà présents sur le marché est sapé par la résistance antimicrobienne. Le cas échéant, les doses recommandées devront éventuellement être augmentées.

En bref, l’efficacité, la qualité et la sécurité des médicaments autorisés sont strictement surveillées, non seulement pendant le processus d’enregistrement préalable, mais également en continu lors de l’utilisation des médicaments dans la pratique.

Qu’en est-il des espèces mineures ou des espèces mineures et indications mineures (MUMS)

Dans le secteur vétérinaire, une grande variété d’espèces animales doit être traitée, ce qui résulte en un marché fortement fragmenté. De grands investissements sont nécessaires pour étendre les autorisations des médicaments vétérinaires qui ont été accordées pour une espèce animale à une autre espèce. En outre, les prix des médicaments vétérinaires sont généralement nettement inférieurs à ceux des médicaments à usage humain. L’envergure de l’industrie pharmaceutique vétérinaire n’est qu’une fraction de l’envergure de l’industrie pharmaceutique pour les médicaments à usage humain. Pour cette raison, peu d’entreprises sont prêtes à investir dans les médicaments pour les espèces mineures telles que les pigeons ou les oiseaux d’ornement, limitant fortement le nombre de médicaments autorisés. En Belgique, à peine 17 médicaments ont été autorisés pour les pigeons non producteurs de denrées alimentaires, dont pas plus que cinq peuvent être utilisés pour les pigeons producteurs de denrées alimentaires.

Tableau 1 : Liste des médicaments enregistrés pour les pigeons producteurs de denrées alimentaires et

pigeons non producteurs de denrées alimentaires en Belgique

A)     pour les pigeons producteurs de denrées alimentaires
 AMOXICURE® – Oropharma – amoxicilline – Temps d’attente viande : 60 h

COLOMBOVAC PMV® – Zoetis

COLUMBA® – Pharmagal Bio – paramyxovirus (Co)

NOBILIS PARAMYXO P201® – Intervet Int via MSD AH – paramyxovirus (Co)

PHARMAVAC PHA® – Pharmagal Bio

 

B)     pour pigeons non producteurs de denrées alimentaires
 AMOXICURE® – Oropharma – amoxicilline

AVICAS® – Oropharma – febantel

COLUMBA® – Pharmagal Bio – paramyxovirus (Co)

COXI PLUS® – Oropharma – sulfamides

EUTHOXIN 500 mg/ml® – Chanelle

MERANOX 25mg/ml® – Avimedical

NOBILIS PARAMYXO P201® – Intervet Int via MSD AH – paramyxovirus (Co)

ORNICURE 150 mg/g® – Oropharma – doxycycline

PHARMAVAC PHA® – Pharmagal Bio

R-12® – Acme – nicarbazine

RELEASE 300 mg/ml sol inj® – WDT

SPARTRIX compr® – Elanco – carnidazole

T61® – Intervet – Embutramide Iodure de mebezonium

THERAPRIM pot® – Oropharma – triméthoprim

THERAPRIM sachet® – Oropharma – triméthoprim

TRICHO PLUS® – Oropharma – ronidazole

TRICHOCURE® – Oropharma – ronidazole

 

(Source : base de données des médicaments à usage vétérinaire de l’AFMPS)

Oropharma, l’entreprise pharmaceutique fondée il y a une trentaine d’années par le professeur Patrick De Backer, est le titulaire de l’enregistrement d’environ la moitié des médicaments autorisés pour pigeons et oiseaux d’ornement en Belgique. L’entreprise, qui fait partie du groupe Versele-Laga, leader sur le marché de la nutrition et produits de soins pour oiseaux, a fortement investi ces dernières années pour maintenir les dossiers d’enregistrement en règle avec les normes toujours plus strictes auxquelles les études scientifiques, les méthodes de production et les tests de stabilité doivent se conformer.

En janvier 2022, le Règlement UE 2019/6, la nouvelle législation européenne concernant les Médicaments à usage vétérinaires, entre en vigueur. Cette nouvelle réglementation demandera une fois de plus des efforts additionnels de l’industrie pharmaceutique. En plus des investissements énormes requis pour la mise ou le maintien sur le marché des médicaments pour les espèces mineures, il existe d’autres facteurs qui font que l’industrie ne puisse pas véritablement générer un retour d’investissement suffisant avec les médicaments pour pigeons et oiseaux d’ornement.

Une enquête récente (Goossens 2018) a révélé que les éleveurs d’oiseaux obtiennent leurs médicaments également par des canaux autres que le vétérinaire ou le pharmacien. Il s’agit souvent de médicaments non-enregistrés, dont l’efficacité, la sécurité et la stabilité n’ont pas été démontrées. Puisque ces pratiques sont considérées comme illégales, il existe peu de chiffres concrets sur ce phénomène, mais on retrouve bien quelques indications à ce sujet entre les lignes de divers sites web et forums pour colombophiles. Par ailleurs, autant en Belgique que dans d’autres pays, des médicaments sont achetés depuis l’étranger par Internet. Cette pratique peut s’avérer dangereuse pour la santé des pigeons, puisque la composition exacte de ces produits est souvent inconnue (Scullion et Scullion, 2002). En outre, l’achat de médicaments par internet, même pour usage personnel, est interdit quand ces médicaments sont soumis à prescription médicale ou à d’autres réglementations spécifiques. C’est le cas, par exemple, pour les produits antimicrobiens, les substances psychotropes, les stupéfiants et les hormones. Les sanctions sur les infractions à cette législation sont des amendes et la saisie des biens.

Un des objectifs de la nouvelle législation européenne est d’ailleurs d’agir plus fermement contre la vente illégale en ligne de médicaments à usage vétérinaire en offrant, entre autres, une interdiction générale de proposer la vente en ligne de médicaments soumis à prescription.

En outre, les vétérinaires mêmes sont parfois susceptibles d’utiliser des médicaments vétérinaires de manière illégale et non indiquée pour d’autres espèces animales, même is, par exemple, un alternatif thérapeutique autorisé est disponible en Belgique.

Dans cet article, nous expliquons plus en détail les conditions exceptionnelles qui permettent aux vétérinaires d’utiliser un médicament pour d’autres espèces animales et/ou d’autres indications que celles incluses dans l’AMM officielle.

Le système en cascade : possibilités et conditions

A cause de l’offre limitée de médicaments pour pigeons, les vétérinaires sont parfois contraints à administrer des médicaments qui tombent hors des dispositions reprises dans l’AMM. Ceci est légalement possible dans le contexte du système en cascade (AR du 14 déc 2006, art. 230 & 231). Le système en cascade offre au vétérinaire traitant la possibilité de dévier de l’usage stricte des médicaments enregistrés dans notre pays. Donc, d’une part, il est possible d’utiliser un médicament pour une autre espèce animale ou pour une autre maladie. D’autre part, le vétérinaire peut également prescrire un médicament à usage vétérinaire autorisé dans un autre Etat membre européen, un médicament à usage humain ou même une préparation magistrale.

  • Les médicaments à usage vétérinaire ayant une autorisation dans un autre Etat membre européen. Afin de pouvoir utiliser ces médicaments, le vétérinaire doit passer la commande chez un grossiste/distributeur autorisé ou chez un pharmacien d’officine.
  • Médicaments à usage humain. Afin de pouvoir utiliser ces médicaments, le vétérinaire doit passer la commande chez un pharmacien d’officine.

Que le vétérinaire choisisse, dans le cadre du système en cascade, un médicament à usage vétérinaire pour une autre indication ou pour un autre animal cible ou un médicament à usage humain ou encore un médicament préparé ex tempore, il/elle en portera toujours seul l’entière responsabilité.

En vue du bien-être animal, le vétérinaire ne peut appliquer le système en cascade uniquement sous des conditions strictes. Les motifs économiques ne doivent pas jouer un rôle dans ce choix ! Les trois conditions suivantes doivent toujours être remplies :

  1. Il n’y a pas d’autre alternatif thérapeutique disponible en Belgique pour l’espèce animale ou la maladie concernée.
  2. Il s’agit d’un traitement absolument nécessaire pour éviter une souffrance inacceptable.
  3. Il s’agit d’une situation exceptionnelle.

Les médicaments contenant la doxycycline enregistrés comme traitement pour la volaille ou les porcs sont souvent moins chers que les médicaments enregistrés spécifiquement pour les pigeons ou les oiseaux d’ornement. En tant que vétérinaire, est-ce que je peux traiter avec des préparations de doxycycline enregistrées pour d’autres espèces animales tels que Soludox, Doxx-sol, Alti-Dox, Doxy-veto C ou Doxylin ?

QU’EST-CE QUE CELA SIGNIFIE DANS LA PRATIQUE ?

Une des conditions explicites pour l’application du système en cascade est qu’il n’y a pas d’autre alternatif thérapeutique disponible en Belgique pour l’espèce animale ou la maladie concernée. Pour les pigeons et les oiseaux d’ornement, le médicament Ornicure d’Oropharma est enregistré en Belgique, spécifiquement pour pigeons et oiseaux d’ornement. Il est donc interdit d’utiliser d’autres préparations à la doxycycline, enregistrées pour d’autres espèces animales, pour les pigeons ou oiseaux d’ornement. 

Pour les mêmes raisons, il n’est pas permis de prescrire pour les pigeons d’autres préparations à l’amoxicilline, enregistrés pour, par exemple, la volaille (telles que Dokamox, Moxapulvis, Suramox, Amoxycylline Kela, etc.), au lieu d’Amoxicure (d’Oropharma).

Idem pour le triméthoprime : la disponibilité de Theraprim, autorisé spécifiquement pour pigeons et oiseaux d’ornement en Belgique, s’oppose à l’utilisation en cascade d’autres préparations au triméthoprime telles que Cosumix, Emdotrim, Metaxolin ou Trimazin pour pigeons ou oiseaux d’ornement

 

Le vétérinaire peut-il fractionner les médicaments et quels sont les requis ?

Dans l’application du système en cascade, notamment quand les médicaments autorisés pour d’autres espèces animales sont utilisés, la taille de l’emballage n’est souvent pas adaptée à l’espèce animale pour laquelle on souhaite utiliser le médicament de manière non indiquée.

Dans ce cas précis, le vétérinaire peut « fractionner » le médicament : cela signifie que la présentation du médicament est changée ou divisée parce qu’il n’existe pas de volume d’emballage primaire approprié pour la durée du traitement. Le fractionnement est autorisé uniquement quand les requis suivants sont remplis :

–             Il n’existe pas de taille d’emballage primaire adéquate, autorisée et sur le marché en Belgique, pour la durée du traitement

–             Uniquement le fractionnement d’emballages plus grands vers des emballages plus petits est permis.

–             Les caractéristiques physiques et la forme pharmaceutique du médicament ne peuvent pas être changés :

    • il est interdit de dissoudre des comprimés, par exemple
    • il est interdit de sortir les comprimés du blister et de les dispenser dans une autre boîte. Les blisters peuvent être donnés s’ils sont accompagnés d’une copy de la notice d’emballage.
    • Il est interdit de mélanger les médicaments avec d’autres substances : il est donc interdit de diluer des médicaments ou de les mélanger avec d’autres médicaments.

–             Le médicament fractionné fourni indique le nom, le numéro de lot et la date de péremption du médicament original.

–             Un médicament fractionné doit toujours être accompagné d’une copie de la notice d’emballage d’origine

 

Est-ce qu’un vétérinaire peut remettre de l’enrofloxacine pour administration chez les pigeons et fractionner lui-même une solution d’enrofloxacine telle qu’Enroshort en emballage d’un litre dans des bouteilles de 100 ml ?

Puisque l’enrofloxacine n’est pas enregistrée pour les pigeons, le vétérinaire peut, par cascade, utiliser une préparation d’enrofloxacine autorisée pour une autre espèce animale.

Il existe, toutefois, une taille d’emballage de 100 ml enrofloxacine, autorisée en Belgique (Baytril 100 ml). Au lieu de fractionner lui-même, le vétérinaire doit donc prescrire ou fournir l’emballage de 100 ml de solution BAYTRIL 100 mg/ml, sans modification.

 

Certains vétérinaires colombophiles utilisent un « mélange » composé par eux-mêmes, dans lequel souvent plusieurs médicaments sont combinés. Est-ce légal ?

Combiner deux ou plusieurs substances n’est pas considéré comme fractionner. Une telle association est considérée comme une préparation magistrale que seuls les pharmaciens ont le droit de préparer (De Backer en Croubels, 2017). Une ordonnance d’un médecin, dentiste ou vétérinaire est requise à cet effet.

Sur l’emballage de la préparation magistrale, les éléments suivants doivent obligatoirement être indiqués :

  • la composition quantitative et qualitative des substances actives de la préparation (sauf si le prescripteur indique de ne pas le mentionner)
  • la date, la date de péremption et le mode d’emploi de la préparation
  • les conditions de conservation, si déterminées
  • le nom et prénom du prescripteur
  • le nom et prénom du responsable des animaux
  • le numéro d’ordre sur l’ordonnance.

Seulement si toutes ces données sont indiquées correctement sur l’emballage, l’étiquetage est conforme à la loi.

 

L’ESSENTIEL DU MESSAGE

Les médicaments autorisés et enregistrés pour une espèce animale et une indication spécifiques ont été soumis à une évaluation stricte par les autorités et offrent les meilleures garanties au niveau de l’efficacité et la sécurité. La législation pharmaceutique européenne oblige le vétérinaire à utiliser, dans un premier temps, les médicaments autorisés spécifiquement pour l’espèce cible, également s’il s’agit d’espèces mineures telles que les pigeons ou les oiseaux d’ornement pour lesquelles l’offre de médicaments autorisés est limitée.

L’utilisation non indiquée d’un médicament à usage vétérinaire destiné à une autre espèce animale ou indication ou un médicament à usage humain ou encore un médicament préparé ex tempore, n’est permis par la loi uniquement dans des conditions particulières. Si le vétérinaire le choisit dans le respect des dispositions du système en cascade, il/elle porte toujours seul l’entière responsabilité de ce choix.

Littérature

Recommandation AMCRA « Maatregelen richting een verantwoord antibioticagebruik bij reisduiven » [mesures pour l’usage responsable des antibiotiques chez les pigeons voyageurs]. Amcra, Centre de connaissances concernant l’utilisation des antibiotiques et l’antibiorésistance chez les animaux, 2019. https://www.amcra.be/swfiles/files/Antibioticaproblematiek%20duiven_finaal_NL_325.pdf

De Backer, P., Croubels, S., 2017. Cursus wetgeving geneesmiddelendepot en voorschriftenleer. Faculté de médecine vétérinaire, Université de Gand, Belgique.

AFSCA Circulaire relative à l’introduction des pigeons dans la chaîne alimentaire. 15/06/2015. https://www.favv-afsca.be/professionnels/productionanimale/animaux/circulaires/_documents/2015_06_15_FR_circ-ob_pigeons_v1.pdf

FOLIA VETERINARIA, Pigeons et médicaments disponibles en Belgique. 2 octobre 2017, www.vetcompendium.com

Goossens Lauren-Tess. Gebruik en misbruik van antimicrobiële middelen bij de sportduif. [Utilisation et abus d’agents microbiens chez le pigeon voyageur]. Partie de la thèse de Master soumis pour obtenir le diplôme de Master en médecine vétérinaire, année académique : 2017 – 2018. https://libstore.ugent.be/fulltxt/RUG01/002/481/276/RUG01-002481276_2018_0001_AC.pdf

Arrêté royal relatif aux médicaments à usage humain et vétérinaire – Partie 2 : Médicaments à usage vétérinaire (art. 141 jusqu’à 285 inclus) et annexes. 14 décembre 2006, Le système en cascade art. 230 & 231.

Scullion, M.G., Scullion, F.T., 2002. Investigation of diseases in young racing pigeons. Dans : World Association of Wildlife Veterinarians Wildlife Sessions. 73-75.

Règlement (UE) 2019/6 du Parlement Européen et du Conseil du 11 Décembre 2018 relatif aux médicaments à usage vétérinaire et abrogeant la directive 2001/82/CE